D’un point de vue administratif, le dossier de production est finalisé, avec choix définitif des textes et ajout d’iconographies russes ramenées par Philippe lors de son voyage à Moscou le mois dernier.
Côté création, ces quatre jours de répétitions nous ont permis de vérifier la pertinence et la validité des réécritures. En l’état, la composition globale du texte est satisfaisante, tant du point de vue du sens que de l’équilibre entre les parties narratives et oniriques. La réécriture de l’introduction de la première partie et de la fin de l’épilogue confèrent de la stabilité à l’ensemble. Nous pouvons à présent appréhender la version quasi définitive de Mes pas… Les changements ultérieurs devraient être minimes, de l’ordre d’un mot ou de quelques phrases.
Suite à cette « validation », et grâce au dernier séjour de Philippe à Moscou, nous sentons qu’une étape a été franchie du point de vue du jeu. Concrètement, moins préoccupé par la construction du texte, Philippe peut se détacher de son rôle d’auteur pour s’attaquer à celui d’acteur et se concentrer davantage sur son jeu. Dépassant la simple lecture vivante, il prend du recul par rapport au texte et y revient pour appui, sans s’y enfermer. De fait, nous avons pu commencer à travailler ensemble des séquences dans le détail, qui font apparaître des éléments que nous avions pu repérer en théorie, et qui se concrétisent dans la pratique.
Le premier tient au traitement des ruptures. La construction métadramatique de la pièce contraint le personnage à éprouver les conséquences du drame initial. Le protagoniste de Mes pas…se trouve pris entre son passé qu’il tente de fuir par le voyage et qui ressurgit à son insu, et le présent qu’il traverse mais qu’il ne peut saisir (d’où l’absence de jugement ?). Cet état se concrétise dans l’écriture et, par suite, au plateau par la diversité des tonalités et la pluralité de la parole. Il apparaît en effet que le personnage est à la fois rempli par différentes voix (poétique, prosaïque…) et divisé (dans ses adresses notamment). Les passages d’un état à l’autre, qui créent des ruptures dans la narration, rendent le personnage vivant (pulsion de vie) en même temps qu’ils l’entraînent vers le trouble. C’est tout le paradoxe et la complexité du personnage qui survit et se perd par la fuite en avant : le passage d’une voix à une autre le fragilise, le conduisant à l’éclatement final sur le Baïkal, mais lui est vital. Il faut que le personnage continue d’avancer, pour « s’empêcher de se suicider » et, pour y parvenir, expulser la parole et les voix qui l’habitent (passages oniriques).
Face à un texte qui allie densité et fluidité (séquences narratives), nous nous rendons compte que Mes pas… contient des commodités dans lesquelles il serait aisé – et réducteur - de s’engouffrer ; La séduction – dans son acception négative, « qui détourne » - constitutive de l’écriture tout d’abord, qui conduirait à se focaliser seulement sur elle et à se laisser bercer par des rythmes et des sonorités. L’enjeu principal du spectacle doit pas se résumer à « faire du beau ». Nous sentons que nous ne devons pas aller dans le sens premier du texte et ne jamais en appuyer les effets et éviter ainsi la redondance. Pour exemple, les marques explicites du drame du personnage étant nombreuses (enfermement, couloir…) il semble plus intéressant de prendre le contre-pied de cette noirceur pour tenter de mettre à jour des éléments inattendus (notion d’ironie). La pertinence du métadrame devrait éclater dans le détachement, le lâcher prise, comme si le personnage n’avait plus rien à perdre. Si le drame est déjà-là, sous-jacent, c’est l’inverse - la jubilation – qui doit être constitutive du personnage.
Dans la même idée, nous voyons que les parties narratives ne peuvent pas être jouées – et c’est paradoxal - sur le ton de la narration. Le comédien doit, au contraire, la casser pour rendre les anecdotes vivantes. C’est seulement de cette mise au présent, dans le temps de la représentation et dans le temps du spectateur, que le partage est possible.
Prochaine étape : il serait intéressant que les répétitions avec le conteur aient lieu dans les semaines qui arrivent afin nous pencher sur le traitement de l’anecdote et nous donner des pistes pour la narration. Nous pourrons également appréhender la mise au présent et le rapport au spectateur. Cette rencontre viendrait nourrir le jeu du comédien en lui donnant une large palette de possibilités.
Marie Duret-Pujol, le 20 avril 2009