La première matinée est consacrée à une conversation suite à un « filage » du texte. Nous parlons des enjeux du projet en général et de la semaine de recherche en particulier.
Les autres matinées sont organisées dans un travail de plateau en face à face entre Jean-Marie, Marie et moi. L’équipe administrative assistera à une matinée de travail.
Thématiques, enjeux, pistes et diables soulevés :
Si certains éléments avaient déjà été travaillés lors de résidences précédentes, cette résidence avec Jean-Marie en a affirmé, validé la pertinence. La confiance et le travail avancent de pair avec de tels pairs.
Passage du texte au plateau.
Le texte pourrait se suffire à lui-même. C’est bien pourquoi il est édité, comme le fut Je me souviens mon père alors que nous n’avons pas cherché à éditer Vos désirs sont des/ordres. Cette affirmation est à nuancer par le fait que l’éditeur choisit une forme de carnet de voyage avec iconographie et une « mise en scène » du texte et des images (ce sont ses mots). Il y manquerait donc dans le livre aussi quelque chose que la mise en scène peut mettre en jeu.
Cette résidence cherche en quoi le narrateur et cette histoire n’existent que dans le temps et l’espace du plateau. Les images, le jeu, le présent (de l’indicatif), les sensations, le personnage du narrateur, les situations qu’il vit sont une matière théâtrale. Nous n’en doutions pas. Durant cette semaine, nous expérimentons la multiplicité possible des mises en jeu et scène. J’en suis surpris. L’imaginaire de Jean-Marie et la rencontre avec ma personnalité d’acteur élargit le champ des pistes possibles. Les choix seront faits cet été. Il est, pour moi, plus facile de choisir quand le choix est loin du binaire.
Le passage du texte au plateau s’effectue dans le même temps que le passage de l’auteur à l’acteur et amènent des questions concrètes. Comment exprimer le désir de l’auteur de passer au plateau, le plaisir de l’acteur d’y être, la relation au(x) spectateur(s), l’équilibre entre la transmission d’une expérience et d’une écriture passées et le sensible qu’elles impriment dans le corps de l’acteur-narrateur ? À suivre.
Les fantômes
Plusieurs personnages sont convoqués dans l’écriture, notamment Blaise (Cendrars), Jeanne (en référence à celle de la prose du transsibérien de Blaise), la mère (en particulier celle de la langue maternelle). Le travail du jeu a conduit à découvrir qu’ils pouvaient venir d’eux-mêmes sur le plateau, au hasard de la pensée, de la parole, de la marche sur le plateau, de la fatigue, de sensations. Le narrateur est accompagné le long de son périple. Cette découverte met à jour deux aspects de l’écriture :
1 - Le côté fantastique
Les personnages rencontrés ont une fonction de compagnons, de fantômes, de guides, d’anges (gardiens ?). Ils ramènent le personnage à ses enjeux : les statues de type soviétique dans le métro qui taisent la route à suivre, le russe salvateur à la sortie du métro qui montrent les chaussures délassées, chaussures symboliques pour un être dont les pas captent le vent. Cette découverte associe l’idée de fond du projet et un processus créateur de théâtre. Cela correspond à une « folie », une forme de schizophrénie - qui a pu faire peur à l’auteur il y a quelques mois et qui séduit ici l’acteur - ou tout simplement à une perte de repères que le voyage, la fatigue, les sens perturbés provoquent.
2 - L’imposition au personnage principal
Oubliant l’écriture, l’auteur et la distance liée au fait que l’histoire est passée, les évènements, les personnes rencontrées, les sensations peuvent s’imposer au narrateur, au présent du plateau, en cohérence avec le présent de l’indicatif du texte. Cela peut aller jusqu’à la manipulation (les douaniers, les sens, les « fantômes »). C’est un choix possible et ce choix engendre du plateau, du présent, du théâtre autant qu’il laisse aux spectateurs la potentialité d’interprétations plurielles. Jean-Marie imaginait bien que les « statues » du métro étaient dans l’eau et que les dormeurs s’y noyaient et poursuivaient le narrateur. Si la tentative d’interprétation de ces derniers jours est capable de suggérer cela, tous les espoirs sont permis.
On peut aussi noter que c’est bien la première fois que j’écris « personnage principal » induisant par cette formulation la présence de personnages secondaires.
L’aspect initiatique
C’est une évidence notée déjà dans le premier dossier dramaturgique. Sur le plateau, l’initiation se fait pas (pages) à pas (pages) : franchir le portique de l’aéroport, l’odeur du transsibérien, sortir de la zone internationale, descendre les « escalators dantesques », la glace…
Les situations réelles/la métaphore
Le texte alternant les parties narratives et oniriques, la question du traitement de l’une par rapport à l’autre se pose. Comment transmettre les parties narratives autrement que par le conte ou l’interprétation afin de donner accès à la métaphore du voyage ? Puis comment rendre compte du concret de la partie sensible ?
Le voyage dans sa totalité comme dans ses parties peut être lu comme une métaphore. Des situations concrètes du spectacle (le décalage horaire par exemple) peut amener une réflexion : à quelle terrasse suis-je à boire ce café, quelle heure sera-t-il demain à la même heure. Dans l’épilogue (et le prologue), la poésie et l’onirisme peuvent rendre la situation réelle trop ténue pour être audible et réduire ce texte à sa dimension métaphorique, poétique. Cette question sera à résoudre, soit dans le texte, soit sur le plateau, soit prendre le risque d’un tel moment, en équilibre avec les moments plus concrets voire triviaux du déroulement du spectacle.
Identifications / émotions
C’était une peur. Cette résidence l’a levée. Laissons tomber la pudeur. Il est possible et souhaitable d’aller sur ce chemin. Les apartés, les ruptures, le texte sont des gardes fous. Le combat entre la pudeur de l’interprète et l’impudeur nécessaire de l’acteur peut même faire partie du spectacle.
Le fil / le déplacement
Le personnage est sur un fil que les pas de l’acteur tracent sur le plateau au fil des répétitions : un jeu sur le plateau à filer comme les pas du narrateur sur la glace ou sur les pavés de la Place Rouge.
Le comique
Jean-Marie me décrit comme un arlequin avec un potentiel comique. Bien sûr, si j’avais joué dans son diptyque (tiens, une idée !) je sais bien quel rôle j’aurais joué. J’avais déjà rencontré le rire avec surprise lors de lectures. Cela fait partie des peurs ou des pudeurs. Sans en faire un objectif, nous pourrons utiliser cet aspect, en faire un outil créateur de théâtre.
Les diables
La pudeur
Le volume de voix
L’explication plutôt que la transmission
Équilibre entre naïveté, découverte et « simplet »
Tenir, tenir chaque syllabe du texte : son sens, son rythme, son son, sa réalité.
Musique / Vidéo
Par ailleurs, cette résidence a penché vers l’inutilité des images vidéo. Les images suggérées par le jeu suffisent. Soit ces images vidéo racontent/montrent/suggèrent autrement, soit elles n’existent pas dans le temps du spectacle. Elles peuvent exister en projection dans le hall à l’issue de spectacle (pas avant !) Si la nécessité de la musique a déjà été actée de fait, elle aussi doit se décoller du pas à pas du jeu et de l’histoire. Nous essaierons deux chemins parallèles qui se croisent et se rejoignent de temps en temps et en particulier sur le Baïkal final.
Avec les anges du métro, le chaman du lac et mes compagnons bien réels, les prochaines résidences avec les musiciens et celle avec Didier Kowarsky vont continuer à capter mes pas dans le vent.
Philippe